La capitale a essuyé nombre de sobriquets au XXe siècle. L’un d’entre eux, « Paname », est resté célèbre. Mais d’où vient cette curieuse formule, à l’origine péjorative ? Le journaliste Claude Duneton (1905-2012) avait mené l’enquête dans l’une de ses chroniques. La voici.
Paname, a dit quelqu’un, est «un petit nom d’amour que les Parisiens donnent à leur village». Voilà qui est gentil, mais il n’en a pas toujours été ainsi. En 1903, date à laquelle Gaston Esnault relève Panam appliqué à Paris par les «maraîchers de banlieue», le scandale du Panama n’est pas encore éteint.
C’est en 1892 qu’éclate l’affaire de Panama qui discrédita le gouvernement et secoua les bases de la République: cent quatre députés furent dénoncés à la Chambre pour avoir touché en sous-main des chèques de la société de percement du canal, qui achetait leur vote en faveur d’une magouille financière fort malhonnête. Ce ne fut qu’un cri d’opprobre contre ces panamistes, ou panamitards scandaleux. «Ces gens-là ne savent se mettre d’accord que pour tromper le pays et lui jouer quelque mauvaise farce», écrivait un journal anarchiste, La Petite République, qui traduisait le sentiment d’indignation éprouvé par le petit peuple besogneux.
Paname: une cité arrogante et tripoteuse
À l’extérieur de la capitale on ne tarda pas à appeler «panamistes» non seulement les hommes politiques, mais tous les Parisiens dans leur ensemble, et «Panam» la ville où ces requins habitaient… Les maraîchers de la banlieue, gens laborieux mais gagne-petit, qui entraient chaque matin dans la ville, devaient payer une taxe d’octroi, bien à contrecoeur, sur les denrées de leurs charrettes. On comprend qu’ils aient été les premiers à employer le sobriquet méprisant à l’égard de cette grande cité arrogante et tripoteuse. Panam!
Ce ne fut que peu à peu, au cours de la deuxième décennie du XXe siècle, qu’un revirement se produisit, et que s’effacèrent la grogne et le mépris. Du reste, au début de la Grande Guerre, le nouveau mot doux n’était pas encore entré dans les moeurs ; on disait toujours familièrement Pantruche (greffé sur Pantin) pour désigner le Paris populaire. René Benjamin fait dire à Gaspard au début d’août 1914: «Faut pas nous en faire un plat avec ton chemin de fer à roulettes qui met douze heures pour s’amener de Pantruche.» Ce ne serait que vers 1917, 1918 que les soldats des tranchées vinrent à utiliser Paname pour désigner la ville de leurs rêves. «Revoir Paname» était le désir intime de ces morts-vivants…
Le mot se répandit surtout après la fin de la guerre par le cabaret et le music-hall, pour connaître la gloire dans les années vingt et trente. Aujourd’hui «Je vais voir Paname» fait terriblement vieillot et s’emploie ironiquement, au second degré, comme dans un dialogue de vieux film avec des relents de Maurice Chevalier.
Retrouvez les chroniques de Claude Duneton (1935-2012) chaque semaine. Écrivain, comédien et grand défenseur de la langue française, il tenait avec gourmandise la rubrique Le plaisir des mots dans les pages du Figaro Littéraire.
Source : http://www.lefigaro.fr/langue-francaise/expressions-francaises/2017/08/…
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